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Scarification : explications d'un psychologue

Scarification : explications d'un psychologue

Corentin Julienne
Badge profil psychologue vérifié

Auteur :

Corentin Julienne

Psychologue Clinicien

Spécialisation TCC

Publication :

3 avr. 2024

Mise à jour :

Scarification : explications d'un psychologue

8 min

Temps de lecture

Définition : Scarification


La scarification, c'est cette pratique délibérée qui consiste à entailler la peau avec un instrument coupant, non dans le but de se donner la mort, mais pour provoquer un saignement susceptible de laisser des traces indélébiles.


Les zones du corps les plus couramment concernées comprennent les bras, les poignets et les cuisses, bien que certains n'hésitent pas à y inscrire des symboles ou des mots sur des parties plus visibles ou sensibles comme le visage, le torse, le dos ou encore les zones génitales.

Comprendre les scarifications

Comprendre les scarifications

Photo de Glen Carrie sur Unsplash

La scarification est une forme de modification corporelle qui consiste à créer des cicatrices sur la peau, en la coupant, la brûlant ou la marquant avec des outils divers.


La scarification peut avoir une signification culturelle, religieuse ou esthétique, selon les personnes qui la pratiquent. Mais elle peut aussi être le signe d'une souffrance psychique, d'un mal-être ou d'un trouble du comportement. C'est notamment le cas chez certains adolescents, qui s'automutilent en se faisant des scarifications sur le corps.

Dans cet article, nous allons vous expliquer ce qu'est la scarification, quelles sont les raisons psychologiques qui peuvent pousser à se scarifier, quel impact ces pratiques ont sur la santé mentale et physique, quelles sont les approches thérapeutiques possibles pour aider les personnes qui en souffrent, et enfin, quels conseils donner aux proches et comment prévenir ce phénomène ?


Différences entre scarification culturelle et automutilation


Il est important de souligner qu’il existe une frontière entre la scarification inscrite dans les mœurs de certaines civilisations - africaines, océaniennes, amérindiennes notamment - et l'automutilation.


La première, riche d'histoire et de sens, vise à marquer l'appartenance à un groupe, un clan ou une croyance, parfois même dans le cadre d'usages esthétiques, rituels ou de guérison. Cette forme de scarification est généralement pratiquée par des mains expertes, en accord avec la personne concernée et toujours dans le respect des normes culturelles. Dans la grande majorité des cas, il n’y a donc rien de pathologique à cette pratique.

À l'opposé, l'automutilation découle d'une souffrance psychique profonde. C’est, nous allons le voir, une manière pathologique de réguler ses émotions. Les automutilations ne sont pas faites dans un but social, comme dans le cas des scarifications rituelles. Elles ne sont pas une tentative d’embellir le corps, comme dans le cas des tatouages ou des piercings. Il s’agit donc bel et bien d’un comportement pathologique. A partir de maintenant, nous parlerons plutôt d’automutilation, qui est le terme approprié pour parler de ces blessures auto-infligées.

Les raisons psychologiques derrière les automutilations

Les raisons psychologiques derrière les automutilations

Photo de Daniel Born sur Unsplash

Une manière pathologique de réguler ses émotions


Les automutilations apparaissent souvent comme un mécanisme d’adaptation aux émotions douloureuses.


Il est à noter que les automutilations ne sont en aucun cas un comportement suicidaire (le but n’est pas d’attenter à sa vie). C’est même tout à fait le contraire ! Les personnes qui s’automutilent le font car cela les soulage d’un état émotionnel qu’elle perçoivent comme insupportable. La douleur, qui généralement n’est pas vraiment ressentie, sert à faire baisser l’intensité émotionnelle à un seuil acceptable.


Un manque de stratégies adaptées pour gérer ses émotions


Vous me direz qu’il existe plein de manières de réguler ses émotions qui n’impliquent pas de s’automutiler !


Et vous avez tout à fait raison ! Les personnes qui s’automutilent ont souvent peu d’alternatives. Non pas qu’il n’existe pas d’autres stratégies plus adaptées, bien sûr ! Simplement, elles n’ont pas les compétences pour les utiliser.


Cela peut être dû à leur éducation. Par exemple, si les parents ne leur ont pas appris à exprimer leurs émotions. On a pu constater que quand les parents ne valident pas les émotions de leurs enfants, ceux-ci développent fréquemment des troubles psys et ont des difficultés à gérer leurs émotions douloureuses.


Un symptôme d’un autre trouble psy


Parfois, les automutilations sont un symptôme d’une autre pathologie.


C’est notamment le cas en ce qui concerne le trouble de la personnalité borderline (également parfois appelé état-limite). Les personnes atteintes par ce trouble ont tendance à avoir des relations chaotiques avec autrui, passant de l’admiration au rejet, parfois en très peu de temps.


Dans cette pathologie, on constate également une sensation de vide chronique, des tentatives de suicide et plus généralement une difficulté à réguler ses émotions. D'où un recours fréquent aux automutilations chez ces personnes. En effet,  les automutilations sont un symptôme bien documenté du trouble de la personnalité borderline.

Impact psychologique des automutilations

Impact psychologique des automutilations

Photo de Roman Trifonov sur Unsplash

Plongeons dans l’univers de la méditation, cette pratique séculaire qui invite à se focaliser pleinement sur le moment présent. Le but est de se concentrer sur l’ici et maintenant, tout en apprenant à être conscient de nos pensées, émotions et sensations. Elle permet notamment d’éviter les ruminations mentales (se focaliser encore et encore sur ses pensées désagréables, sans apporter de solution au problème).


Sur l'estime de soi et les relations interpersonnelles


Les personnes qui s’automutilent cherchent souvent à cacher leurs automutilations à leur entourage. Cela met en péril leur estime d’eux-même. Le sentiment d’inadéquation est souvent présent, de même que la honte. Les personnes qui s’automutilent ont bien conscience que leurs comportements peuvent entraîner de l’incompréhension, du rejet, voire du dégoût.


Il est vrai que les réactions inadaptées de l’entourage sont fréquentes. Cela en retour renforce la peur de parler de ses problèmes à son entourage, ce qui complique le diagnostic et la mise en place d’un traitement adapté. Bien entendu, les relations avec la famille et les amis peuvent en pâtir, entraînant un potentiel isolement social.


Sur le rapport au corps


Les personnes souffrant de comportements automutilatoires identifient fréquemment le corps comme le lieu de leur problème.


L’image corporelle est alors endommagée et n’est plus associée qu’aux automutilations. Il est alors très important de travailler sur la représentation du corps lors d’une thérapie. Il va s’agir de se réapproprier son corps, de l’imaginer non pas seulement comme un lieu de souffrance mais comme une possible source de fierté, voire de sensualité (au sens large). Il est très important de réapprendre à être conscient de ses sensations corporelles, notamment au travers d’exercices de méditation.


Risques de chronicisation des automutilations


Finalement, s’automutiler peut se transformer en une quête incessante de soulagement, menant à une potentielle chronicisation des comportements d'automutilation.


On apprend à son cerveau que s’automutiler permet de soulager une émotion intolérable, que c’est rapide et surtout, efficace ! Car oui, le problème des comportements d’automutilations, c’est qu’ils sont très efficaces pour réguler les émotions douloureuses. Bien entendu, les conséquences négatives sont bien présentes et loin de moi l’idée de vous conseiller de vous automutiler ! Mais il faut comprendre que pour les personnes qui s’automutilent, il s’agit d’un comportement qui leur permet d’arriver à un soulagement. Le risque, c’est que ces comportements se chronicisent (ça marche, donc je recommence, encore et encore).

Approches thérapeutiques face à la scarification

Approches thérapeutiques face à la scarification

Photo de J W sur Unsplash

Il existe de nombreuses psychothérapies et interventions permettant de traiter les automutilations, que ce soit dans le cadre d’une autre pathologie, comme le trouble de la personnalité borderline, ou non.

Nous vous présentons deux approches dont l'efficacité a été prouvée par de nombreuses études scientifiques sérieuses.


Thérapie cognitivo-comportementale (TCC)


La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) à pour objectif de mettre en place de nouveaux comportements, plus adaptés.


Dans le cas de scarification, il s’agit de trouver des manières efficaces de réguler ses émotions sans avoir à  s’automutiler. Le problème, c’est que les personnes souffrant d’automutilations ne savent souvent pas comment faire autrement !


Le rôle du thérapeute sera alors de travailler ensemble pour trouver des manières plus saines de gérer les émotions douloureuses. Voici quelques exemples de techniques fréquemment utilisées :

  • La psychoéducation : Il s’agit d’enseigner au patient comment fonctionne son trouble, afin qu’il ou elle soit mieux armée pour y faire face.

  • L’affirmation de soi : également appelée communication assertive. Les personnes qui s’automutilent le font parfois car elles ne savent pas s’exprimer autrement ni poser de limites saines à autrui. Cela peut déclencher des automutilations (“je me sens mal car je n’ai pas su poser mes limites, donc je m’automutile pour me soulager”). L’affirmation de soi vise à corriger cela.

  • L’acceptation émotionnelle : Il s’agit d’apprendre à tolérer ses émotions lorsqu’elles sont douloureuses. Je détaille cela dans le paragraphe suivant.


Les approches dites “de la troisième vague”


Ce sont des thérapies basées sur les TCC mais qui intègrent des éléments nouveaux comme les approches méditatives et l’acceptation des émotions douloureuses.


Parmi ces approches, on peut nommer la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) et la thérapie comportementale et dialectique (TCD). Je ne vais pas vous parler de ces approches en détail mais on constate des éléments communs :

  • L’acceptation des émotions douloureuses. Il s’agit d’apprendre à les tolérer sans chercher à les changer. Cela permet de résister plus facilement aux comportements d’automutilations qui sont, on le rappelle, un moyen de contrer une émotion douloureuse perçue comme trop intense.

  • La centration sur le moment présent. Cela permet d’avoir une meilleure conscience de son corps, de ses pensées. Les personnes centrées sur le moment présent pourront plus facilement prendre de la distance par rapport à leurs impulsions à s’automutiler.

Conseils aux proches

Conseils aux proches

Photo de Marco Bianchetti sur Unsplash

Comment aborder le sujet des automutilations ?


Découvrir que quelqu'un qu'on aime s’automutile peut être bouleversant, mais garder le silence n'est pas généralement pas une bonne idée. Voici ce qu'il est important de faire dans le cas où un de vos proches s’automutile.


Soutenir sans juger


La découverte des automutilations chez un proche peut susciter toute une gamme d’émotions - peur, colère, tristesse, sentiment d’impuissance.


Cependant, il est crucial de préciser qu’une personne qui s’automutile ne le fait pas pour attirer l’attention.


Généralement, la personne qui se fait du mal le fait car elle ne trouve pas d’autres solutions pour soulager son mal-être.


Montrez plutôt de la compassion, une écoute empathique et active ainsi qu’une absence de jugement. Il est important que la personne se sente comprise et pas jugée.


Encourager la recherche d'aide professionnelle


Les automutilations requièrent souvent le soutien d'un professionnel de santé. Qu'il s'agisse d'un psychologue ou d'un psychiatre, il est crucial de consulter rapidement, surtout face à des scarifications régulières, profondes ou liées à d'autres troubles. Ces professionnels peuvent offrir une évaluation, un plan de traitement, et guider vers des ressources spécialisées. Il est important de soutenir votre proche  dans cette démarche.

Prévention des automutilations

Prévention des automutilations

Photo de Aleksandr Kadykov sur Unsplash

Importance de l'éducation émotionnelle dès le jeune âge


L'apprentissage de la gestion des émotions est essentiel, fournissant à nos enfants et adolescents les moyens de manœuvrer habilement dans le complexe univers des émotions.


Cette formation augmente leur aptitude à identifier, comprendre, exprimer et réguler leurs sentiments. Elle favorise également le développement d'une empathie significative et d'une considération pour les sentiments d'autrui.


Pourquoi est-ce si important ? Parce que cela constitue une ligne de défense primordiale contre l'automutilation. Les comportements d’automutilations apparaissent souvent quand la personne ne dispose pas des moyens de réguler sainement ses émotions. En promouvant des principes tels que l’expression émotionnelle, l’affirmation de soi et l’empathie, on donne aux jeunes les outils nécessaires pour surmonter les défis et les difficultés de l'existence sans se tourner vers des actes autodestructeurs. L'initiation à cette forme d'éducation devrait commencer dès le plus jeune âge, que ce soit à la maison, à l'école ou dans d'autres milieux éducatifs.


Rôles des établissements scolaires et des professionnels de la santé


L'importance des établissements scolaires et des professionnels de la santé dans cette lutte contre les automutilations n'est pas à sous-estimer.


En effet, dans de nombreux cas les comportements d’automutilation commencent lors de l’adolescence. Les enseignants, surveillants, éducateurs ou encore les infirmières scolaires peuvent participer à la prévention ou à faire remonter l’information qu’un jeune s’automutile. Dans ce cas, il est important que les adultes travaillant en milieu scolaire ne montrent pas de dégoût, ne disent pas à l'élève “qu’il ne faut pas faire ça”, ou tout autre réaction qui peut faire penser à la personne qui s’automutile que ses comportements sont une “faute” ou sont répréhensibles.

Il ne faut pas non plus promettre de rien dire, car il est important d'en faire part à la famille qui pourra décider d’une prise en charge par un professionnel de santé mentale tel qu’un psychologue.

Conclusion

Conclusion

Photo de Zoltan Tasi sur Unsplash

Nous avons vu ensemble qu’il faut bien distinguer les scarifications d’origine culturelle, qui n’ont rien de problématiques, et les automutilations, qui sont une manière pathologique de gérer ses émotions. Les personnes qui s’automutilent le font car cela permet de faire baisser l'intensité d’une émotion jugée comme étant insupportable. Heureusement, des thérapies efficaces existent, telles que les TCC ou les thérapies dites de la troisième vague.

Si vous-même ou un être cher s'automutile de façon chronique, il ne faut surtout pas hésiter à consulter un professionnel de santé mentale !  Les automutilations ont des conséquences néfastes à long terme mais il existe des thérapies qui sont efficaces. Ne restez pas seul avec vos difficultés.

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