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Depuis 2011, l’Organisation mondiale de la santé reconnaît la bigorexie comme une addiction sérieuse à l’exercice physique, surnommée aussi « sportoolism » ou « anorexie athlétique ». Cette obsession pour le sport, qui peut affecter tant les athlètes de haut niveau que les amateurs enthousiastes, peut transformer une source de bien-être en un véritable poison.
Caractérisée par un comportement sportif compulsif et excessif, la bigorexie dépasse la simple passion pour devenir une dépendance qui menace la santé physique et psychologique. Les personnes atteintes sacrifient leur bien-être global pour une routine d’entraînement intensive, et poursuivent souvent sans relâche l'idéal d'un corps parfait.
Cet article plonge dans le monde de la bigorexie, explorant ses impacts, les risques pour la santé, les conséquences psychologiques, les facteurs de risque, et les groupes vulnérables. Nous discuterons également des stratégies de diagnostic, de prise en charge, ainsi que de la prévention et de la sensibilisation qui sont essentielles pour combattre cette addiction au sport.
Comprendre la bigorexie
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Définition et différences avec une passion sportive saine
La bigorexie doit être clairement distinguée d’une passion sportive saine. Aimer le sport et en faire régulièrement ne signifie pas nécessairement être bigorexique. La différence réside dans la nature de la relation que l’individu entretient avec l’activité physique.
Une pratique sportive saine est caractérisée par un équilibre entre le plaisir ressenti et les bénéfices pour la santé, sans compromettre les autres aspects de la vie. En revanche, la bigorexie se manifeste par une dépendance compulsive et excessive à l’exercice physique, qui dépasse les limites d’une pratique saine et équilibrée.
Il est important de noter que les athlètes de haut niveau, qui passent beaucoup de temps à s’entraîner, ne sont pas automatiquement bigorexiques.
La bigorexie n’est pas définie uniquement par le volume d’entraînement, mais par la présence d’un rapport de dépendance néfaste avec le sport. Cette dépendance se traduit par une perte de contrôle, un besoin irrépressible de pratiquer le sport, et des conséquences négatives sur la vie sociale, affective et sur la santé.
Les signes distinctifs de la bigorexie
Les signes de la bigorexie sont multiples et varient d’une personne à l’autre, mais certains symptômes sont récurrents. L’un des principaux signes est le désir intense et compulsif de faire du sport, souvent associé à une préoccupation pathologique de la minceur ou de la musculature.
Les individus bigorexiques consacrent une grande partie de leur énergie et de leur temps à l’activité sportive, ce qui peut entraîner un surentraînement et des problèmes physiques tels que des blessures musculaires, des déchirures, et des tendinopathies.
Les comportements compulsifs et les troubles alimentaires sont également fréquemment des indicateurs de la bigorexie. Les personnes touchées peuvent développer des anorexies comportementales, comme l’orthorexie, qui consiste à modifier leur alimentation de manière extrême pour prendre de la masse musculaire ou maintenir un poids de forme idéal.
De plus, la bigorexie peut entraîner des troubles psychologiques tels que la dépression, l’irritabilité, la nervosité, ou encore des troubles du sommeil, particulièrement lors de phases d’abstinence.
Le modèle des 5C de l'addiction, qui inclut le contrôle, le craving (envie irrépressible), la compulsion, la continuité, et les conséquences négatives, peut aider à identifier les manifestations principales de cette addiction au sport. Ces critères permettent de distinguer clairement la bigorexie d’une simple passion pour le sport.
Les dangers de la bigorexie pour la santé physique
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L’usure prématurée du corps
La bigorexie, c’est cette quête sans fin du toujours plus, qui pousse le corps beaucoup trop loin, jusqu’à l’usure prématurée. Quand on s’entraîne à l’excès, sans répit, le corps n’a pas le temps de dire « stop, j’ai besoin de me reposer ». C’est là que ça casse : tendinites, déchirures musculaires, fractures de fatigue... tout cela devient le quotidien.
Et puis, il y a cette tendance à zapper le repos bien mérité. Résultat ? Fatigue chronique, maux divers, et une lenteur dans le processus de guérison qui ne fait qu’empirer les choses.
Les blessures récurrentes et graves
Se blesser, se soigner à moitié, et hop, reprendre de plus belle. C’est un peu le cycle infernal de la bigorexie. Des blessures sérieuses, comme des déchirures, des tendinites à répétition, jusqu’aux fractures qui vous clouent sur place. Et dans les cas extrêmes, on parle même de complications cardiovasculaires graves.
Risques associés de troubles alimentaires et de carences nutritionnelles
La bigorexie va souvent de pair avec les régimes extrêmes. On parle de minimiser la graisse, de maximiser les muscles, et ce, à quel prix ? Des carences sérieuses peuvent apparaitre et vous laisser sur les genoux, la santé en berne.
Entre anorexie, orthorexie, et cette quête d’un corps parfait, c’est tout l’équilibre alimentaire qui se trouve chamboulé. Pour les femmes, cela va jusqu’à bousculer le cycle menstruel, avec à la clef, des risques d’ostéoporose précoce et de problèmes de fertilité.
Les conséquences psychologiques de l’obsession sportive
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La dysmorphie musculaire, un trouble de l’image corporelle
La dysmorphie musculaire est un trouble psychologique fréquemment associé à la bigorexie. Celui-ci se caractérise par une perception négative et déformée de son propre corps, où l’individu se perçoit comme insuffisamment musclé ou maigre, même si cela est objectivement loin de la réalité.
Cette distorsion de l’image corporelle pousse les personnes bigorexiques à intensifier encore plus leur pratique sportive, notamment dans les activités de musculation, dans une quête sans fin de la perfection physique. Cette obsession de l’image corporelle peut conduire à des comportements extrêmes, tels que la consommation de produits dopants ou de suppléments alimentaires hyperprotéinés, dans l’espoir d’atteindre un idéal corporel souvent inaccessible.
Les réseaux sociaux jouent également un rôle significatif en renforçant ces comparaisons et cette quête de perfection, ce qui exacerbe encore plus la dysmorphie musculaire.
L’isolement social et la détérioration des relations
L’obsession sportive liée à la bigorexie peut entraîner un isolement social et une détérioration des relations personnelles et professionnelles. Les individus bigorexiques ont tendance à organiser leur vie entière autour de leur pratique sportive, ce qui réduit considérablement leur temps et leur énergie disponibles pour les interactions sociales et les activités non sportives.
Cela peut mener à des conflits avec l’entourage, des ruptures amicales et familiales, et une diminution de la qualité de vie globale. La ritualisation des séances de sport et la nécessité de maintenir une routine intensive peuvent rendre difficile la participation à des événements sociaux ou la simple présence dans des contextes non sportifs.
Cet isolement social peut aggraver les troubles psychologiques existants et empêcher les individus de bénéficier du soutien émotionnel et social dont ils ont besoin.
La coexistence avec d’autres troubles psychiques
La bigorexie coexiste souvent avec d’autres troubles psychiques, tels que la dépression, l’anxiété, et les troubles du sommeil.
Les symptômes de la bigorexie peuvent être similaires à ceux de la dépression et de l’anxiété, ce qui rend le diagnostic et le traitement particulièrement complexes. Les personnes bigorexiques peuvent ressentir une faible estime de soi, des problèmes de concentration, et une irritabilité accrue, surtout lorsqu’elles se retrouvent privées de leur activité sportive.
En cas d’arrêt forcé de l’activité sportive, par exemple en raison d’une blessure, les individus bigorexiques peuvent présenter des symptômes de sevrage, tels que de l’irritabilité, de l’angoisse, et un profond mal-être. Ces symptômes psychologiques peuvent être aussi intenses que ceux observés dans les addictions aux substances, soulignant la gravité de la dépendance à l’activité physique.
Facteurs de risque et populations vulnérables
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Les déclencheurs psychosociaux de la bigorexie
La bigorexie s’ancre souvent dans des facteurs psychosociaux profonds.
Les personnes en lutte avec une faible estime personnelle, du stress, de l’anxiété ou des douleurs ancrées dans le passé ou le quotidien sont plus enclines à succomber à cette addiction. S’adonner au sport de manière intensive devient alors un mécanisme pour faire face, une bouée de sauvetage pour contrecarrer ces émotions destructrices, offrant un soulagement éphémère, mais au final nuisible.
Ceux marqués par des expériences traumatisantes, comme un viol, de la violence physique ou du harcèlement, se trouvent plus vulnérables face à la bigorexie. Le développement musculaire ou l’amélioration de performances sportives peut être perçu comme une quête pour retrouver un sentiment de sécurité ou reprendre le contrôle sur leur existence.
Les troubles de l’alimentation et de l’image corporelle, notamment la dysmorphie musculaire, sont également des vecteurs clés de la bigorexie. Ces troubles sont façonnés par des influences génétiques et sociales, par exemple la prévalence de troubles alimentaires chez les proches ou dans l’environnement familial, et jouent un rôle prépondérant.
L’impact des réseaux sociaux et de la culture du fitness
Les réseaux sociaux et la culture du fitness moderne ont un impact considérable dans la propagation de la bigorexie. Des plateformes telles qu’Instagram et Facebook propagent des images idéalisées de corps parfaits, instillant chez les utilisateurs le désir de répondre à des standards de beauté et de performance physiques souvent inaccessibles.
Cette représentation et ces influenceurs du fitness peuvent accentuer les perceptions déformées de son corps, incitant à une pratique sportive plus intense et l’adoption de régimes spécifiques, parfois extrêmes.
La pression sociale visant à atteindre une apparence physique idéale et la glorification du sport et de la forme physique amplifient la difficulté à reconnaître et traiter la bigorexie.
De surcroît, la culture du fitness, qui prône souvent l’excès et la compétition, peut créer un terreau fertile pour les comportements addictifs, compliquant ainsi la prévention et le traitement de la bigorexie.
Diagnostic et prise en charge de la bigorexie
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Comment est diagnostiquée la bigorexie ?
Le diagnostic de la bigorexie repose sur plusieurs critères et outils d’évaluation.
Les personnes bigorexiques peuvent passer des heures à l’entraînement, suivre éventuellement des régimes alimentaires extrêmement restrictifs ou hyperprotéinés, et parfois consacrer beaucoup de temps à la vérification de leur apparence dans le miroir.
Cette addiction affecte significativement les activités sociales, professionnelles et autres aspects importants de la vie.
Stratégies thérapeutiques et rééducation comportementale
La prise en charge de la bigorexie nécessite une approche pluridisciplinaire, combinant des stratégies thérapeutiques et une rééducation comportementale.
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est l’une des méthodes les plus efficaces pour traiter la bigorexie. Cette thérapie vise à identifier et à modifier les pensées distordues et les comportements compulsifs associés à la bigorexie. La TCC inclut des stratégies cognitives pour observer et supprimer les idées négatives et déformées sur son propre corps, ainsi que des stratégies comportementales pour contrôler les comportements impulsifs et répétitifs.
La thérapie d'exposition et de prévention des rituels (EPR) est également utilisée pour aider les individus à trouver des moyens alternatifs de gérer leurs préoccupations négatives.
En plus de la thérapie, des médicaments comme les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) peuvent être prescrits pour stabiliser l’humeur et traiter les symptômes dépressifs ou anxieux associés à la bigorexie.
Prévention et sensibilisation
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Conseils pour une pratique sportive équilibrée
Pour prévenir la bigorexie, il est important de maintenir une pratique sportive équilibrée et diversifiée.
L’une des stratégies clés consiste à varier les activités sportives, en incluant des séances d’étirement, de yoga ou de sophrologie, afin de réduire le stress et de renforcer la connexion entre le corps et l’esprit. Pratiquer un sport collectif plutôt qu’individuel peut également aider à maintenir une vie sociale active et à éviter l’isolement.
Il est important de rester à l’écoute de son corps et de respecter ses limites. Cela inclut de prendre des pauses régulières pour s’hydrater et de se concentrer sur la récupération, surtout après des activités intenses. La récupération active, telle que la marche légère ou le vélo à faible intensité, peut aider à prévenir les blessures et à maintenir un équilibre global.
En outre, il est essentiel de garder en tête que le sport doit être une source de plaisir avant tout. Éviter de transformer la pratique sportive en une obligation ou une source de stress est primordial pour prévenir la bigorexie.
En complément, les activités apaisantes comme la méditation et le yoga peuvent aider à réduire l’anxiété et à renforcer une image positive de soi.
Rôle de l’environnement familial et professionnel dans la prévention
L’environnement familial et professionnel joue un rôle significatif dans la prévention de la bigorexie. Un soutien émotionnel et social solide peut aider les individus à maintenir une perspective équilibrée sur leur pratique sportive. Les familles et les amis peuvent encourager les activités sportives diversifiées et collectives, ce qui aide à prévenir l’isolement et la ritualisation excessive de l’entraînement.
Sur le plan professionnel, les entraîneurs et les médecins du sport peuvent jouer un rôle essentiel en surveillant les signes précoces de la bigorexie et en fournissant des conseils et des recommandations pour une pratique sportive saine. Ils peuvent aider les sportifs à ajuster l’intensité de leur entraînement et à intégrer des périodes de récupération adéquates, réduisant ainsi les risques de blessures et de surmenage.
Les organisations sportives et les clubs peuvent également mettre en place des programmes de sensibilisation et de prévention, visant à promouvoir une culture du sport saine et équilibrée. Ces programmes peuvent inclure des ateliers sur la gestion du stress, la nutrition équilibrée, et les techniques de récupération, contribuant ainsi à une meilleure compréhension des risques associés à la bigorexie et à la promotion d’une pratique sportive responsable.
Conclusion
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La bigorexie n’est pas qu’une simple passion pour le sport. C’est une addiction sérieuse qui menace de plus en plus d’individus. Il est primordial de comprendre que ce trouble dépasse largement l’amour pour l’activité physique et qu’il peut avoir des conséquences graves sur le bien-être physique, psychologique et social.
La bigorexie se reconnaît à travers une série de signes : une pratique sportive excessive, parfois une obsession de la musculature, éventuellement accompagnée de troubles alimentaires et psychologiques.
Affronter la bigorexie demande une approche pluridisciplinaire : de la thérapie cognitivo-comportementale, du soutien familial et professionnel, et parfois un traitement médicamenteux. Il est essentiel de cultiver une conception du sport qui privilégie le plaisir et le bien-être plutôt que la fixation et la contrainte.
Si vous ou une personne de votre entourage présente des symptômes de bigorexie, il est essentiel d’agir. Prendre contact avec un professionnel de la santé, participer à des activités sportives diversifiées et accueillantes, et chercher le soutien des proches sont des étapes clés. Ensemble, on peut atténuer les impacts négatifs de la bigorexie et redécouvrir une approche saine du sport.